Mon voisin a acheté une génératrice

Article : Mon voisin a acheté une génératrice
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7 juillet 2015

Mon voisin a acheté une génératrice

Je bois tranquillement une bouteille de prestige en lisant le flux de publications de mes amis sur facebook. Cette soirée est comme tant d’autres. Le fait que ce soit un vendredi n’y change pas grand chose, sauf peut-être, le fait que j’ai acheté une pizza et des ailes de poulet. Je me moque de mon prétendu régime surtout le vendredi quand malgré moi je veux marquer le weekend. Il n’y a pas d’éléctricité comme presque tous les soirs depuis le dernier jour du carnaval. Je n’habite pas au centre-ville de port-au-prince, ce problème n’a à priori rien à voir avec le drame du carnaval.

Ma lampe qui me sert aussi d’appareil radio de fortune diffuse une chanson de J. Beatz. Je suis seule, ma bière est glacée, je me la coule tranquille et pour répéter après les jeunes de la rue, depi kola m glase m pa goumen pou glas. Une facon de vous dire qu’en ce moment le monde se réduit à ma terrasse, ma bière et mes amis de Facebook comme je les nomme par affection. Je n’ai pas conscience de ce qui se passe chez les voisins.

Mon petit moment d’agréable solitude s’allongeait jusqu’à ce qu’une lumière réveilla mes pupilles. Je cru l’espace d’un sursaut qu’on m’ avait fait grâce d’un peu d’éléctricité en ce vendredi soir. Je regarde à gauche, la lampe de la terrasse de mon voisin est bel et bien allumée. Je regarde à droite, la lampe de la facade de la maison de mon autre voisin est elle aussi allumée. Il a l’éléctricité tous les soirs car ses câbles sont plus longs que ceux de chez moi. Je veux dire par là qu’il s’approvisionne en éléctricité à partir de manoeuvres que nous haïtiens connaissons tous. Il peut ainsi vendre les meilleures bières du quartier. J’allais verifier pourquoi je suis la seule à me noyer dans le noir quand j’entendis ce son qui me dérangerait même au coeur du paradis. J’ai vite compris que mon voisin a acheté une génératrice.

Fermez les yeux, imaginez qu’il fait noir, chacun de vos voisins allume la génératrice usagée qu’il s’est procuré. Imaginez le bruit qui frappe vos tympans. Pollution sonore serait une piètre expression pour décrire ce chaos. En ce qui me concerne, je ne me sens plus à l’aise. Je ne peux plus profiter de la brise. Ce bruit a violé mon intimité. Je suis maintenant pleinement consciente que je vis dans le pays le plus pauvre de l’hémisphère Ouest. Je veux bien que la lumière brille chez moi aussi. Mais je n’ai pas le choix, je suis coincée entre mes besoins et mes limites.

Balèn! Balèn! Il doit avoir douze ou treize ans, ce garçon qui chante ce mot presque tous les soirs. J’ai envie de le faire taire à chaque fois. Sa voix stridente résonne dans ma tête comme le sous-développement qui me rit au nez dès que je sors de chez moi. Il ne fait que gagner sa vie le petit. Au moins, je n’ai pas à me promener dans l’obscurité , rappeler aux gens qu’ils ont le droit à l’accès à l’électricité, pour arrondir mes fins de mois…Je n’aime pas taper plus de cinq cent mots sur mon téléphone car après trente minutes, ma batterie meurt, celle de ma lampe aussi. Alors, je retourne dans le temps, je lis à la lumière d’une lampe à kérosène et le comble, je n’ai accès ni à Facebook ni à Twitter ou Whatssapp. J’ai la désagréable sensation d’être coupée du reste du monde.

Wey yo bay kouran! Vendredi soir 9 heures passées de vingt minutes, la lampe de mon salon s’allume, tout est beau. Le voisin a éteint sa génératrice. Je peux regarder un film, taper quelques paragraphes du billet que j’écris depuis trois semaines. Tout le monde est trop préoccupé par les besoins du ventre faisant suite à la montée vertigineuse du prix des matières premières pour penser au rationnement incensé d’éléctricité dans certaines zones de la capitale. Si m pa pale m ap toufe. Je ne m’attends à rien de meilleur, rien de pire. Je raconte cette histoire pour satisfaire mon besoin de partager mon opinion. Désormais, je sais que je ne pourrai plus me réfugier sur ma propre terrasse car mon voisin a acheté une génératrice. Si je suis contente pour lui, j’avoue être aussi décue que les citoyens de mon pays aient à se donner tant de mal pour résoudre un mal vieux comme la nuit des temps: l’obscurité dans les esprits et les maisons.

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