
Haiti.- Insulter les femmes est trop facile
Le président de la République n’est malheureusement ni le premier ni le seul à oser insulter publiquement une femme. Il y a de cela quelques années, un professeur d’université très connu du monde intellectuel haïtien, docteur en anthropologie, avait déclaré qu’une femme vaut moins qu’une pièce de monnaie de cinq gourdes, car on en trouve à tous les coins de rue tandis qu’il est impossible de trouver une pièce de monnaie au sol. Les étudiants avaient ri. La blague du plus mauvais goût leur paraissait amusante. Le professeur est mort, mais la pratique persiste. Si vous considérez que des étudiants pouvaient rire d’une telle plaisanterie, vous comprendrez mieux la réaction de la bande de badauds, sûrement à moitié ivre, qui écoutait le président lancer des insultes à cœur joie à l’encontre d’une femme.
La chanson Ti mamoune avait soulevé des réactions vite étouffées, car le rythme était bien trop entraînant. L’auteur de cette chanson n’était ni docteur an anthropologie, ni président mais il insultait une catégorie de femmes avec le même verbe. Les assassinats crapuleux d’au moins deux jeunes femmes par leurs partenaires respectifs il y a quelques mois n’ont pas suscité trop d’émoi. Elles ne s’appelaient pas Ginou Mondésir, actrice adulée et une femme battue, violée, ou assassinée est souvent une femme en tort qui a eu ce qu’elle mérite. L’expression « crime passionnel » aurait dans notre île une vertu expiatoire. Encore faut-il faire semblant que tout va bien car une femme qui défend la cause des femmes est une femme frustrée, ou en manque de sexe selon les dires de plus d’un. Autrement dit, chez nous, « féminisme » est un gros mot. Ainsi, certaines femmes sont les premières à s’ériger contre tout mouvement d’émancipation et de défense des femmes en Haïti. Elles y voient une sorte d’atteinte aux privilèges du statu quo. Alors, nous nous taisons jusqu’à ce que le vase déborde.
Une compagnie de transport en commun desservant la ville des Cayes interdit aux femmes de s’asseoir sur les sièges près du chauffeur, car elles seraient trop émotives pour occuper ces places. Il a fallu un décret électoral pour forcer les partis politiques à inclure davantage de femmes dans le processus électoral. Un sénateur de la République a déclaré, sur les ondes, à mots à peine voilés que le poste de premier ministre est trop sérieux pour être confié à une femme quand la ministre de la Santé fut désignée pour assurer l’intérim suite à la démission du premier ministre Laurent Lamothe. Je ne citerai pas en exemple les insultes que j’entends au quotidien dans les rues de Port-au-Prince, dans les tap-tap et les bus.
Il est devenu trop facile de violer le droit des femmes et de les humilier. Le ministère de la Condition féminine n’existe que de nom depuis quelques années. On dirait que les ministres qui se sont succédé audit ministère depuis quatre ans ont toutes fait le pacte de ne pas nuire à l’expansion du sexisme en Haïti. Mais comme l’a dit notre célèbre féministe haïtienne « le sexe masculin n’est pas une arme ». Comme certains jeunes l’ont déjà fait, nous devons tous réagir parce qu’il est devenu bien trop facile d’insulter les femmes de ce pays. Indignons-nous !