emmalucien

La société est libre de te juger mademoiselle

J’ai lu le billet ” Ne me jugez pas chère société”. J’avoue que c’est un très beau texte. Il décrit une réalité qu’aucun Haïtien ne peut ignorer. Cependant, il donne aussi des excuses à des jeunes filles qui ont oublié le sens du mot sacrifice, et laisse croire à tort que certaines jeunes filles n’ont pas d’autres choix que de se prostituer pour survivre en Haïti. Nous avons tous le choix et la société a bien le droit de juger qui elle veut.

Je vais vous parler de Katie. Katie est belle, noire, pauvre. Elle n’est pas pauvre au point de mendier sur les trottoirs mais elle l’est au point de penser à vendre son corps au plus offrant. Elle est belle, éduquée, elle n’aurait pas à le faire dans la rue. Elle pourrait choisir un de ces hommes mariés qui aiment profiter du corps des jeunes filles financièrement fragiles pour prendre du bon temps. Ils les choisissent belles, autant que possible instruites et s’enorgueillissent de pouvoir se payer des filles de l’âge de leurs propres filles, faisant du même coup de la concurrence à leurs propres fils.

Katie résiste malgré elle. À la lumière d’une bougie, elle a pu préparer son admission à l’Université d’Etat d’Haïti. Comme tant d’autres étudiants qualifiés, elle n’a pas eu besoin de parrainage. Elle a attendu des mois avant de trouver du travail. Pour faire passer le temps, elle écrivait et lisait tous les jours. Elle vivait avec le peu qu’elle avait. Elle savait que tant que battrait son cœur, il y aurait de l’espoir. Elle nourrissait de grands rêves mais elle ne les laissait pas se transformer en obsession. Elle ne laissait pas ses désirs l’aveugler et la perdre. Elle préférait être ringarde et pauvre plutôt que de salir le peu d’honneur qui lui restait.

Katie enseigne dans une école secondaire où elle gagne une misère. Les voitures s’arrêtent constamment sur son passage, car ses fesses pourraient distraire un saint tellement elles sont bien faites. Ils aimeraient tous l’avoir dans leur lit. Entretenir une copine ne coûte jamais trop cher, car c’est l’argent du trésor public, des vols et autres petites corruptions qui paient les fractures. Katie a pourtant un homme dans sa vie. Il ne peut pas lui offrir un dîner dans un restaurant huppé de Pétion-ville, mais il peut lui garantir un support inébranlable. Il est tout à Elle. Il fait battre son cœur. Ils font l’amour comme si le plaisir était l’air qu’ils respiraient; il ne s’arrête pas, ne se mesure pas, il prend tout l’espace. Katie est pauvre, mais heureuse.

Si tu es une femme entretenue par un homme marié, tu as fait un choix. J’ai choisi comme Katie de me battre et de bâtir mon succès avec les pierres que la vie me lance au quotidien. Je ne te juge pas mais je ne prendrais jamais le même chemin même si ma vie en dépendait. Je ne te juge pas, je ne te jugerai jamais mais la société est libre de te juger mademoiselle.


Au-delà de l’horreur de la déportation

J’ai fait le tour du spectre des émotions face à l’imminence de la déportation des immigrants et fils d’immigrants d’origine haïtienne en République Dominicaine. D’abord,  je voguais en plein déni de la réalité. Je ne voulais pas concevoir cette éventualité, j’espérais un revirement de la situation. Puis, j’ai ri des réactions de nos dirigeants et de l’opinion publique en général. Mon rire était sarcastique, malsain, il se voulait moqueur, dénigrant mais aussi salvateur. Je voulais tout ressentir sauf la douleur devant inévitablement découler de mon acceptation des faits. J’avais envie de crier à la face du monde que j’avais vu ce moment venir. Je voulais leur réciter toute la morale de fables de Lafontaine qui me venaient à l’esprit. Certains internautes devaient ressentir la même chose car j’ai lu dans plusieurs commentaires la phrase suivante : « Vous chantiez ? j’en suis fort aise. Eh bien! dansez maintenant.  »
Dans le registre d’émotions inappropriées, je ressentais quelque chose proche de la satisfaction sans l’être. Nous allions enfin arriver au bout du périple. On parlait de cette déportation depuis des mois. On allait enfin en finir une fois pour toute. Qu’elle nous écrase ou qu’on le contourne, il n’y aura désormais plus d’épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Entre ce sentiment et d’autres, au cœur de ce marasme, je me sens en terrain familier. En quelque sorte, je savais qu’on allait en arriver là, je le craignais, je l’appréhendais, je priais pour qu’on l’évite mais je savais au fond que nous avions faux sur toute la ligne dans notre gestion de la crie haïtiano-dominicaine. Les dominicains n’ont pas raison mais ce n’est pas parce qu’ils sont les méchant de l’histoire que nous devons rejeter notre part de responsabilité : celle de ne pas construire un pays où à défaut de faire bon vivre ,  il n’y a pas chez tous un besoin de  fuir à tout prix.
Aujourd’hui nous sommes confrontés à la réalité. Nos craintes prennent forme. Nous sommes impuissants face à l’horreur. Et je suis là, abattue, cherchant désespérément une issue. Tous les réseaux sociaux sont envahis d’images, d’articles et de commentaires. Nous sommes pris de court. Mais je ressens malgré moi une énergie nouvelle. Je ressens de nouvelles émotions. Et si nous pouvions affronter cette éventualité cauchemardesque ? Je suis certaine que même face au mur, il nous reste plein de possibilités. Nous pouvons aller au-delà de l’horreur.
Que faire de 250 000 êtres humains ? Nous sommes haïtiens, ils sont nos frères. Nous pouvons échanger des idées, élaborer un plan d’urgence et donner au monde une belle leçon d’humanité. Nous sommes plus forts que nos malheurs et nous l’avons démontré tant de fois. Nous pouvons partir de cette énième crise pour atteindre un nouvel idéal de peuple, pour repenser notre nation. Au-delà de l’horreur, il y a la possibilité de créer de nouveaux modèles de développement communautaire et de reconstruction nationale. Rassemblons nos frères de divers horizons, d’ici et d’ailleurs pour un dialogue constructif. Décrétons l’urgence de nous unir et de rebâtir la nation avec ces fils si injustement abandonnés. Collectons des fonds, accueillons avec amour et espoir nos frères et sœur déportés. Faisons preuve d’humanité, de créativité, de solidarité et de compétence. Surmontons cette épreuve de trop.


Haiti.- Saison des Pluies

 

Depuis l’annonce des élections, une pluie de candidats déferle sur toute l’étendue du territoire haïtien. Des organisations et regroupements politiques poussent comme des champignons.  Je ne m’attarderai pas sur les candidats, je vous parlerai plutôt de la pluie, plus précisément de la saison des pluies qui commence. Aux Cayes, il a plu toute la matinée du 13 Avril. Les semaines passées, il pleuvait pratiquement tous les soirs à Port-au-Prince. Eu égard à la sécheresse qui fait perdre tant de récoltes dans les plaines, J’ai pensé un moment que cette pluie pourrait en fait être une bénédiction, tout comme certains pensent que la pluie de candidat constitue un acquis démocratique.

Je suis une pluviophile : j’adore la pluie. Rien ne me calme autant que l’odeur de la terre quand les premières gouttes de pluie s’y infiltrent, pour le plaisir de mes narines. Les scientifiques utilisent le terme pétrichor pour nommer cette substance contribuant  à l’émanation de cet odeur typique de la terre après la pluie. Je préférerais une approche plus romantique et créative. Je pense que les gouttes de pluie vont réveiller une petite fée noire qui dort sous la terre. Elle adore la pluie et dans sa joie, elle répand cet odeur qui nous enchante. Je ne suis plus un enfant. Je sais que la saison des pluies en Haiti n’a rien d’un conte de fée.

J’ai appris que la peur de la pluie est un trait commun aux haïtiens. Un chauffeur d’autobus m’a dit, à titre d’exemple, que les haïtiens ont beaucoup plus peur de la pluie que des projectiles. Personnellement, je ne supporte pas l’idée que mes pieds puissent patauger dans les eaux usées traînant tous les détritus des rues de Port-au-Prince. Je vous dirai donc que j’adore la pluie quand je suis chez moi mais je la déteste quand elle me surprend ailleurs que dans ma chambre. Je la déteste aussi quand après m’être endormi en écoutant la pluie, je me réveille écoutant à la radio que la pluie que j’ai littéralement dégusté la veille a fait des morts.

Je ne suis pas la seule à entretenir cette relation compliquée avec la pluie. Des milliers de planteurs attendent la pluie avec impatience chaque année car ils n’ont toujours pas accès à des systèmes d’irrigation, mais dès qu’elle est la, ils s’en plaignent.  La nature est capricieuse, elle n’en fait qu’a sa tête, elle ne se plie pas aux exigences des planteurs, pas plus que les entités responsables. Pauvre planteurs! Ils ont besoin d’eau pas d’un déluge.  Le comble de tout c’est qu’ avec la pluie viennent les épidémies de choléra, typhoïde, dysenterie etc.

Il va pleuvoir plus régulièrement les mois à venir et ces intempéries causeront des pertes en vie humaines et biens matériels. Il est encore temps de sensibiliser les populations à risque .Mieux vaut prévenir que guérir. S’Il n’y a plus rien à faire face à la pluie des candidats. Nous pouvons prévoir les conséquences de la saison pluvieuse 2015 et prendre les mesures nécessaires.

Emma Lucien


Haiti.- La ruée vers le Mexique

La troisième convocation de la bourse de Mexique a eu lieu du 11 au 30 mars 2015. Des centaines d’étudiants se sont présentés au Ministère des Affaires Etrangères pour s’inscrire. Le nombre d’étudiants désireux de se porter candidat a atteint son apogée le vendredi 27 mars écoulé. Les passants pouvaient les voir amasser derrière la barrière principale du Ministère comme s’ils préparaient un rassemblement. L’intérêt de ces jeunes pour cette bourse d’étude est sans précédent, seule la bourse d’étude de médecine du Gouvernement Cubain a été plus populaire. Qu’est ce qui explique cette ruée vers le Mexique ?
D’abord, les programmes d’études du programme sont très intéressants. Comptez une licence en génie Civil, génie mécanique, génie des réseaux et télécommunications etc.., des programmes qui paraissent plus intéressants dans des universités étrangères que locales. Les ressources étant, a priori, plus nombreuses à l’étranger qu’en Haïti.
Une autre explication repose dans le fait qu’Haïti, ne dispose pas de suffisamment de programmes de bourses d’études. Les haïtiens ne sont pas qualifiés pour un grand nombre de programmes de bourse d’études intéressants. Pour le petit nombre de programme accessibles aux étudiants haïtiens, les jeunes doivent faire face au manque de transparence dans la gestion desdits programmes. Les sites internet du gouvernement haïtien ne font pas état des bourses disponible et les fonctionnaires en charge de ces programmes en font une affaire personnelle. Il faut passer un interrogatoire au Ministère de la Planification rien que pour savoir quelles bourses sont disponibles.
En plus du nombre limité et de la mauvaise gestion des bourses d’études, il faut aussi tenir compte de l’ignorance de beaucoup de jeunes haïtiens. Les bourses d’études pour des pays comme la Chine et Taiwan ne les intéressent pas autant car ils n’ont pas encore compris que le monde est un village et la que Chine est en marge d’en devenir le nouveau  maître. Les Etats-Unis, la France, le Canada ou tout autre pays proches de ces derniers sont pour plus d’un les seuls destinations attrayantes Le Mexique a l’avantage d’être près des Etats-Unis et l’idée de pouvoir passer de l’autre cote de la frontière est plus qu’alléchante.
Les explications sont nombreuses. La dernière mais pas la moindre consiste ne se cache pas plus loin que dans le mauvais rendement des étudiants haïtiens aux examens du Bac. La bourse d’étude de Taiwan par exemple, qui est une bourse d’excellence, exige une moyenne de 7 au bac. La barre est placée plus haute que pour les autres programmes, ce qui limite le nombre de candidats. Les notes du bac sont si faibles qu’une moyenne de 7 sur 10 est trop sélective.
Au-delà des explications a la ruée vers le Mexique des Etudiants haïtiens, l’attitude des étudiants est ce qui choque le plus. Même conscient de ne pas avoir la moyenne requise, les étudiants vont quand même déposer leur dossier, question de tenter leur chance. Tout est question de chance dans ce pays. Des jeunes passent des années sur les bancs de l’école sans application encore moins d’assiduité mais vont tenter leur chance au bac et le système les donne raison parfois, car par accident certains finissent par avoir de très bonnes notes.
La ruée vers le Mexique peut prendre fin d’un jour à l’autre dépendamment de l’évolution des relations entre les pays. Il revient à nos jeunes étudiants d’agir en intellectuels et futurs scientifiques. À eux de poser les bonnes questions, d’exiger des preuves, d’analyser les fait pour créer ou saisir de nouvelles opportunités. Ainsi, ils n’iront pas tenter leur chance pour une bourse d’étude, ils déposeront leurs candidatures pour les programmes pour lesquels ils sont qualifiés et ne compteront pas sur la chance mais sur leur mérite pour obtenir les résultats désirés.


Haïti.- Elections ou combats de coqs

Dimanche 29 mars.- Dans la camionnette qui me conduit à Delmas 75, deux hommes tiennent chacun, en main  un coq. Tout parait normal, les coqs bougent à peine, personne n’y voit de mal, jusqu’à ce qu’un des coqs bèque une fille. Elle se plaint à haute voix. Ce coup de bec fait office de mot d’ouverture d’un débat animé sur les combats de coqs. Les arguments étaient d’ordre moral, religieux et sanitaire. Je ne suis pas du genre à prendre part à ces discussions mais je les écoute avec une attention soutenue. Édifiée, j’ai rapidement fait une comparaison entre les combats de coq et les élections haïtiennes.

Je ne suis pas experte en combat de coqs mais j’ai appris certaines notions dans des conversations et lectures de romans haïtiens. Je peux prétendre, en connaissance de cause, avoir rassemblé suffisamment d’éléments, pour conclure que les élections haïtiennes sont un grand combat de coqs. Le pays est une gaguère et la communauté Internationale, la société civile, les marginaux, les chrétiens, et ceux qui croient à tort ne pas faire de politique sont tous présent pour regarder la classe politique se battre. Le vainqueur emporte le butin et fait la fête avec son équipe et ses supporteurs.

Les ressemblances ne s’arrêtent pas là . Deux coqs ne peuvent se partager un même poulailler sans se battre. Les coqs ne se regroupent pas, surtout quand il y a des poules en vue. Tous ces partis politiques sont la preuve que nos politiciens, ces coqs, qui nous réveillent tous les matins à la radio, ne peuvent pas s’entendre. Ils ressentent le besoin de s’affronter et de se diviser. À chaque coq son espace, et en ce qui nous concerne, À chaque coq son parti politique. Dans ces combats les coqs y laissent des plumes, parfois jusqu’à leur sang, mais ils ne cessent pas de se battre pour autant. Seul la mort arrive à bout de leur attitude. Notre coq dictateur se serait présenté au combat s’il n’était pas mort.

La tradition veut que si le propriétaire du coq couche avec une femme la veille du combat, le coq perdra. Les femmes sont donc mises de côté dans les combats. Elles sont là quand on a besoin d’elles, dans la limite où elles ne deviennent ni trop importantes ni trop influentes. En bonne mère poule, elles, ne cherchent pas plus, mais s’accrochent fermement au peu qu’on a bien voulu les laisser.

L’alcool coule à flots dans les gaguères tout comme dans les campagnes électorales. Ce ne sont pas les projets qui séduisent le peuple mais l’argent dépensé. Les candidats font des alliances de toute sorte, misent sur le contenu des caisses de l’état, pour gagner une place au timon des affaires publiques.

Les combats de coqs ne sont pas un jeu pour enfants, les élections non plus. On exclut les jeunes, on utilise des groupes d’étudiants, ceux qui ont compris les règles du jeu et n’ont pas peur de se blesser. Et pourtant ils sont les premiers à payer les frais. Qu’importe le coq qui gagne, la question des jeunes ne constitue jamais une priorité.

Nous, haïtiens, avons grandi au pays du soleil, sur une terre de rythmes et de couleur. Toute cette énergie fait que nous aimons la vie, le rire, le carnaval et les combats de coqs etc. Les prochains combats ne seront pas les derniers, le spectacle va continuer pour le meilleur et pour le pire jusqu’à ce que notre humanité et notre haïtiannité prenne le dessus, alors un bon coq capable de chanter dans tous les poulaillers prendra les devants.